« Les livres sont doués d’une force irrésistible et ils constituent le fléau de toute dictature. »
« Avertir et divertir »
« Entre taire la vie et la leur dire comme elle est. »
« Entre s’assurer de ce qui est bon et pertinent pour eux et leur offrir le monde à découvrir. »
« Entre penser pour eux et les aider à penser. »
« Pour les faire s’oublier. »
« Pour qu’ils se retrouvent, trouvent des semblables et d’autres aussi. »
« Nous leur ouvrons la vie avec les livres, tous les livres. »
Je suis déjà suffisamment pétrifiée devant ma feuille blanche. Je n’aimerais pas penser à toutes ces responsabilités, à part divertir. Je n’aimerais pas imaginer comme m’a accusé une mère d’une fille fugueuse que c’est mon livre qui l’a poussé à fuguer.
Ce n’était pas toujours ainsi. Il me semble qu’au début, j’étais comme me disait mon mari, une imbécile heureuse, qui écrivait comme elle respirait, sans penser à un but autre que celui d’aller en bas de la page puis de la tourner, sans penser aux conséquences, sans « offrir le monde à découvrir. »
Je n’offrais que mes tripes et mon cœur à moi. La seule censure qui s’imposait était la langue avec sa maudite grammaire, sa syntaxe tortueuse, son orthographe tyrannique. Il y a bien sûr un œil sur l’enfant : je savais que je ne pouvais pas faire trop de descriptions de peur de perdre le lecteur. Je ne pouvais pas utiliser trop de vocabulaire nouveau pour ne pas le décourager. Ca tombait plutôt bien car je n’avais pas trop de vocabulaire !
Mais la première définition d’un « auteur » est « celui qui est la cause, le responsable ». Zut, je n’y avais jamais pensé !
J’aimais bien, comme tout le monde avait l’habitude de me rappeler, n’être qu’un auteur pour enfants. Mes collègues à la fac qui me croisaient dans les couloirs prenaient une voix haute et chevrotante pour cracher « Ah, tu écris toujours tes petits contes ? »
Bien que je n’écrive pas habituellement des contes, je rougissais en avouant que oui. Mais ça m’arrangeait d’écrire des petites choses. C’était anonyme bien qu’il y ait mon nom.
Mais même dans ces débuts inconscients, il y avait des censures sérieuses, la première était le doute.
Est-ce que je suis capable de remplir une page ?
Est-ce que ce que je veux dire est intéressant ?
Est-ce que ce n’est pas gonflé de s’improviser écrivain ?
Il faut une sacrée dose de culot pour se mettre à écrire. Et ces doutes ne m’ont jamais quitté, ni après 20 livres, ni après quarante livres, ni après 60 livres. Je ne sais pas si j’ai quelque chose de pathologique, mais après 35 ans de fac, j’ai toujours le trac avant chaque cours. Et je ferai toujours n’importe quoi — le linge, la vaisselle, le repassage et même laver par terre — avant de me plonger le matin dans l’encre.