susiemorgensternOn aime râler. Je ne sais pas pourquoi. C’est plus sophistiqué, plus huppé, plus intéressant. Critiquer, se plaindre, pleurnicher. Ça soulage peut-être. Quand je fais l’éloge de mon éditeur devant des auteurs amis aux salons de livres, je les énerve. Ça fait cucul la praline et Bécassine. Plouc ! Élisabeth Brami m’a trouvé toute sortes de problèmes psychologiques quand je lui ai asséné l’hymne à mon chéri d’éditeur.

Elle pense que je devrais me faire soigner. (Ce qui n’est pas forcément faux !) Qu’est-ce qu’on se régale à se raconter les hôtels moisis, les restaurants crados, les classes mal préparés, les directeurs nazes, les documentalistes minables, les voyages galères. C’est vrai que les pires catastrophes sont une mine d’or pour un écrivain, alors que le bonheur ne se raconte pas.

Comment parler de ces trois semaines en Nouvelle-Calédonie sans avoir l’air d’une menteuse ? Est-ce qu’on me croirait quand je dis que j’ai atterri dans les cours des écoles en hélicoptère comme un ange tombant du ciel ? Ou Juliette Maës qui, le long de ce séjour, m’a accompagné, soigné, chouchouté ? Ou les cérémonies dans les tribus, dans la brousse et autres merveilles ? Les auteurs de jeunesse font le tourisme le plus insolite. Peut-être devrait-on se taire quand c’est trop bon, comme une grand-mère qui pense que ses petits-enfants sont les plus beaux du monde.

Je reviens d’un autre séjour trois étoiles au Lycée français de Moscou. Ce n’est pas tant pour me vanter que de passer les bonnes adresses aux copains. Ça arrive d’avoir des rencontres parfaites, des séjours de rêve. Grâce au P.D.G. du B.C.D., Carole Foullon Lefebvre, toutes les classes de la maternelle à la sixième étaient impliquées dans le projet de recevoir un auteur. Ils ont lu non seulement mes livres mais aussi les articles que j’ai écrits et des dossiers sur moi.

Carole a essayé d’encourager les maîtres à trouver une idée autre que questions réponses. (Une classe a inventé une variante intéressante : ils ont fait un film d’une interview avec Susie Morgenstern joué par un des enfants qui répondait d’une façon farfelue aux questions habituelles, et en russe aussi !) Une autre classe du C.E. 1 était déguisée, chaque enfant dans la peau d’un des personnages de mes livres. Ils m’attendaient sur le trottoir devant leur école avec leur maîtresse, elle dans sa robe de mariée décolletée.

Il faisait moins 5 à Moscou. Une fois dans la chaleur de leur classe, ils me donnaient des pistes pour que je découvre le nom du personnage, sauf un garçon qui n’était pas déguisé parce que « Je suis Colin et je voudrais être un héros d’un de tes futurs livres. » Inutile de vous décrire toutes les classes avec les salades fabriquées par les enfants pour « Les Potins du Potager » ou des intrigues dans les livres inventés par la maternelle comme dans « Double doudou ». Chaque classe était un cadeau.

L’école finit à 13 h 30 et j’avais mes après-midi pour faire du tourisme. Carole m’avait bradé aux maîtres qui voulaient me guider dans le métro, au marché, au Kremlin ou au musée de leur choix. Je suis allée avec le directeur, Luc Broutin, au ballet folklorique et avec une maîtresse, Iori Baishev, au Ballet Bolshoi. Le sommet pour moi était ma soirée aux bains russes avec deux nouvelles copines qui sont devenues tout de suite de vieilles amies. J’ai pu aussi rencontrer des parents à la séance de dédicaces organisée par Carole. Perfectionniste, Carole si soucieuse de chaque détaille, m’a avoué qu’elle a quand même oublié quelque chose : elle aurait dû me présenter à un beau Russe !

Avant de reprendre l’avion, Carole m’a prêté sa voiture avec son chauffeur pour aller acheter caviar (un petit peu) et saumon fumé et glisser un autre monument dans cette journée ensoleillée. Je sais qu’après mon départ, les enfants allaient écrire des articles pour leur journal et poursuivre une idée que j’ai lancée pour un concours d’écriture. Il y a des façons de prolonger le plaisir. Mais pour moi, il faut que je me contente seulement du caviar qui disparaît petit à petit et des matriochkas que j’ai achetées en quantité industrielle. Je joue avec mes poupées russes comme on fouille les couches du souvenir d’une visite parfaite… ou presque.